Récits

La carte de Guido

Traduction Marie-Claude White

Le Livre

2011

Récit
22,5 x 14,5 cm
224 pages
Livre broché
ISBN 9782226218797
Éditions Albin Michel, Paris

Comme tous les vrais voyageurs, Kenneth White sait que les pays, les villes et les paysages existent déjà dans les bibliothèques et les mappemondes. Découverte à Bruxelles, la très ancienne « carte de Guido », qui rassemble dans un savant désordre l’histoire, la géographie, la philosophie et la poésie d’une Europe médiévale rêvée, devient le pilote secret de ses propres explorations.À son tour, de Venise et Trieste à Bilbao, de l’Irlande aux Balkans, l’auteur de La Maison des marées dresse une cartographie lyrique et critique de notre vieux continent, brosse des tableaux de société colorés, vivants et malicieux. S’il parle de « pèlerinage », il ne faut y voir rien de religieux, mais une expérience profonde des lieux, ponctuée de rencontres savoureuses avec leurs habitants, et, en passant, l’évocation de quelques figures marquantes de la culture européenne.La curiosité de Kenneth White est inépuisable, comme sa spontanéité de promeneur érudit et son intelligence toujours sur le qui-vive. Partout dans ce livre, avec ses éclairs et son humour parfois noir, on entend le rire du gai savoir.

Présentation de l’éditeur .

Extrait

Le jour suivant, je me suis mis à arpenter Bruxelles.
Il n’est pas facile de se faire une idée de cette ville. Paris a une unité de style, pas Bruxelles. Au moment où vous croyez l’avoir saisie, vous tournez à un coin de rue et là, quelque chose de nouveau bouleverse l’image que vous en aviez. Prenez une maison flamande en brique rouge, placez-la à côté d’une façade Modern Style, suivie d’un gratte-ciel en verre bleu azur, ajoutez en vrac quelques autres styles et constructions, et vous avez Bruxelles. C’est la même chose avec les gens. Si vous demandez son identité à un Belge, il répondra qu’il est wallon ou flamand. Mais le Bruxellois n’est ni l’un ni l’autre. C’est pourquoi il est quelquefois qualifié de Zinneke, du nom donné à ces petits chiens bâtards qui errent dans le quartier de la rivière Senne. Le Bruxellois est un bâtard erratique. Sa mentalité est marquée par une sorte d’anarchie mêlée d’humour.
Voilà pourquoi Reclus, cet anarcho-géographe ami de Bakounine et de Kropotkine, se sentait si bien chez lui ici. À l’Université libre (libre car elle n’était rattachée ni à l’Église ni à l’État), il enseigna librement ce qu’il appelait la « géographie comparative ». Il s’installa également comme éditeur de cartes.
Or il se trouve que je suis toqué de cartes.
L’une des choses que j’avais à l’esprit en venant à Bruxelles cette fois-ci, c’était d’aller voir une carte particulière qui se trouve dans un album, Guidonis Liber, fait à Pise au début du XIIe siècle par un certain Guido, et dont le plus ancien manuscrit connu est conservé à l’Albertine, la Bibliothèque royale de Bruxelles.
J’y suis allé le deuxième jour et ai réussi, après quelques négociations compliquées, à y jeter un coup d’œil dans la plus grande discrétion.
Ce Liber de variis historiis, pour lui donner son nom complet, est une étrange compilation : un mélange de cosmographie, de géographie, de toponymie et d’histoire, auxquelles s’ajoutent une liste des « philosophes d’Europe » et un poème narrant une expédition en Afrique du Nord.
Étant moi-même le genre de studiosus lector auquel était destiné l’album, j’ai passé une journée entière en sa compagnie dans l’Albertine, à prendre force notes et à copier sa carte.

Extrait du chapitre « Dernières nouvelles de Bruxelles »

Lire également en ligne Sur les crêtes de l’aurore (extrait du chapitre).

Revue de Presse

La carte de Guido, comme souvent les lieux chez Kenneth White, fonctionne à la façon d’un mandala. A savoir que, dans le temps de l’écriture de ces voyages, on n’en apercevra que les effets. Pour le dessin, pour les motifs chacun est renvoyé à soi-même. Il ne s’agit pas d’un guide de voyage (ou alors à l’usage de son auteur seulement), il s’agit de lire ces traces d’un autre que nous-même qui évolue au sein d’un paysage mental et physique auquel nous ne sommes censément pas étrangers mais que nous méconnaissons pourtant. A chacun donc de dessiner sa carte de Guido comme on habiterait poétiquement la Terre.
Habitant d’un monde fini – non, je n’évoque pas l’Europe – Kenneth White évolue ici dans une ambiance crépusculaire, entre le crépuscule du matin et le crépuscule du soir. Vivre sur une sphère et s’y déplacer, tout le monde connaît le paradoxe, revient à se rapprocher du lieu dont on s’éloigne, et de plus en plus vite. Nulle hâte donc à mettre en œuvre. L’œuvre en question est non seulement de circulation mais circulaire.
Le premier mot du livre est « Glasgow » et la dernière phrase : « Je reste dans cette nuit, sur la côte ouest de l’Écosse, à écouter la mer ». L’œuvre de Kenneth White, je le pense depuis longtemps, est construite sur une mélancolie tenue à distance par une intelligence claire et affirmative – équivalent humain du cri de l’oiseau pélagique, ou négatif du corbeau.

Régis Poulet, « La Carte de Guido de Kenneth White, une ‘immensité intime‘ », La Revue des Ressources.

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